05/11/2011

Les Boutons

                                                                        
    Une chemise anglaise comptait 5 boutons. 


    Celui du haut, Jeff, l'ainé, confiant et un brin zen, vivait détaché plus souvent qu'autrement. 

    Suivaient dans l'ordre: Jim, sérieux et responsable, les jumeaux Joe et John, dont la relation tendue avait fort à voir avec la rondeur abdominale de celui qu'ils couvraient de leur mieux, et finalement Fédor, le dernier, le plus bas, à l'esprit aussi sombre que le sous-sol dans lequel il étouffait.

     Voici son histoire.

    Pendant trois longues années son destin fut attaché à cette chemise rouge qui, le jeudi, jour de lavage, l'entraînait avec elle dans de sombres eaux savonneuses. Mais comme disait l'adage dans le monde des boutons: 


    "Où va le nettoyage vestimentaire va l'hygiène boutonnière".

    Puis suivait la bascule dans l'air chaud, les montagnes russes de la sécheuse. Ça cognait dur sur les parois. Ça balottait ferme. Quarante longues minutes, lui qui était sec après trente secondes.

    Venait enfin le long repos. Une semaine immobile sur un cintre, le nez fourré dans la chemise d'en avant à attendre anxieusement la cruelle apothéose: le retour du jour de service.

    L'enfer!

    Il végétait alors dix, douze et parfois quinze heures dans le noir, tassé sous une ceinture, dans une paire de pantalon, agressé par une fermeture éclair dont les dents de métal le fixait comme un dessert. Il en sortait épuisé, bouché des quatres trous, la dépression à fleur de fil, rêvant obsessivement de liberté, du jour où ce cycle infernal cesserait.

    Mais revenaient, réguliers comme le jour, le jeudi, l'eau savonneuse, l'air chaud et l'épreuve. Trois ans! Plus de cent cinquante fois le même manège!

    Et un jour, mal assis sur un banc de parc, l'homme leva les bras  brusquement, tirant la chemise vers le haut, geste qui le libéra de la chemise. 


    CLAC ! Bris de l'attache. Flottement. 


    LIBRE ! Enfin libre...
    Il fut quelque temps flottant dans l'entre-jambe avant de doucement glisser par le tube gauche du pantalon, vers la lumière du monde si longtemps souhaitée.

    Puis là, immobile sur la pelouse, tout à son nirvana, les quatre trous comme autant d'yeux ouvert sur un ciel si pur, il fut avalé par un pigeon qui le confondit avec un grain de maïs.