18/09/2014

Aznavour



Il y a de grandes énigmes dans l'Univers. 

Pourquoi les boîtes à pizzas sont-elles carrées si les pizzas sont rondes, par exemple. 

Ou pourquoi tout le monde possède des élastiques mais personnes n'en achète jamais. 

Il doit bien y avoir quelqu'un(e) quelque part qui a acheté un sac d'élastiques depuis le début du siècle !

Enfin, bref, Aznavour était en ville hier et, dans le même ordre d'idée, mon hyperactif cerveau se demandait alors qui pouvait bien être le parolier le plus habile pour débuter une chanson. 


Sculpter une intro de qualité. D'impact. 

Accrocher en quelques mots. 

Dire à l'auditeur: Je te donne 10 mots et je te défies de te défiler par manque d'intérêt ensuite. 

Qui est le meilleur artisan des débuts de chansons.

Brassens écrit des histoires. Brel émeut. Ferré donne dans le coup de masse. Ferland charme. Leclerc peint.

Mais le grand Az lui débute une chanson par:

"BAAAAAAAAAAAAAAA…layé par septembre…"

Trouvez-moi l'équivalent ailleurs. 


Cet exemple est, si vous me permettez le lien facile, le B-A BA de l'introduction punch.

À mon avis, Az est le maître.

Mais il a fait mieux ailleurs. 


J'ai tellement écouté de chansons que j'ai les oreilles qui font de la corne. Et je ne crois pas avoir entendu meilleur début que:

"Les parois de ma vie sont liiiiiiiiiisseuh…. je m'y accroche mais je gliiiiiiiiiisseuh… "

Aaaah, celle-là ! 



CELLE-LÀ !


Deux petites phrases, 10 secondes dans la chanson, et vous avez déjà une meilleure suggestion de ce que vie le protagoniste que dans 75% des chansons COMPLÈTES qui survolent le même sujet.

Permettons-nous une petite décomposition du trait de génie.

Question: Comment ça va Monsieur ?

Réponse:

"Les parois...", 


Ah déjà on sent poindre l'obstacle. On ne sait pas encore qu'elles sont lisses mais on sait déjà, par définition de ce qu'est une paroi, qu'il y a un os, un problème à contourner, à surmonter. 

Quand à "comment ça va" on répond d'abord par les mots "les parois", ça n'annonce rien de trop bon. 

Mais poursuivons:

"de ma vie sont lisses" ; 


C'est donc autobiographique. C'est noté. Mais surtout, ces parois, elles sont lisses. 

Déjà qu'une paroi est un empêchement à poursuivre aisément, si lisse en plus est sa nature, et qu'elles sont plusieurs, a t-on le choix de conclure autre chose qu'il n'y a plus grand chose d'autre à faire que d'abandonner ? 

Les épaules tombent. Des parois. LISSES ! 

Au moins on souhaite au quidam qu'aussi peu enviable soit sa situation maintenant, qu'elle n'empire pas plus. Si c'est possible. 

Mais voilà que…

"je m'y accroches mais je glisse..." 


Il y a donc, malgré la précarité de la situation, une détérioration continue, à la seconde on dirait, d'un état déjà précaire. C'était déjà pas rose et voilà que ça empire.

Bref, ça va mal.

Une histoire complète en deux phrases je vous disais. 


A t-on besoin d'en savoir davantage ? Qu'est-ce que cet homme peut vous dire de plus qui vous apprendra du nouveau ?

Les parois de sa vie sont lisses !

Il s'y accroche mais il glisse !!!


Il n'y a rien à ajouter. 


On veut lui mettre une main sur l'épaule tout de suite. Lui dire, laisse faire le reste du texte mon vieux, rends-toi à la pharmacie, va te chercher du Prozac".

Possiblement, en tous cas à mon humble avis, le plus efficace début de chanson qui soit.

L'Artisan des mises en situations les plus habiles dans le monde de la chanson française, c'est le petit grand Charles. 


Et maintenant, place à l'homme aux trémolos d'or.